Exemple extraordinaire de Neuro-plasticité Pedro Bach-y-Rita
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Tout commence en 1959, le jour où Pedro Bach-y-Rita, vieux poète et érudit catalan émigré aux États-Unis, se retrouve paralysé par un accident vasculaire cérébral (AVC). Le pronostic des spécialistes est rapide : rien à faire, il sera hémiplégique à vie et ses jours sont comptés.
Le fils aîné de Pedro, George Bach-y-Rita, est un jeune psychiatre qui refuse de croire son père fichu. Une inspiration délirante (il ne connaît rien à la rééducation) lui dicte de considérer le paralytique comme un nouveau-né et de lui réapprendre tous les gestes de base. Avec l’aide d’un ami et d’équipements bricolés, il va mettre le vieux monsieur à plat ventre dans le jardin, pour le faire ramper, puis marcher à quatre pattes, sous les yeux des voisins choqués. Au bout d’un an d’exercices quotidiens acharnés, Pedro Bach-y-Rita jouera du piano, dansera et redonnera des cours à la faculté, à la stupeur des médecins. Personne n’y comprend rien, pas plus George que les neurologues.
Pourtant, le fils cadet du « miraculé », Paul Bach-y-Rita, qui revient d’un long voyage et a suivi avec émerveillement l’exploit de son frère et de son père, prononce un mot : « neuro-plasticité ». À l’époque, personne ne sait de quoi il parle. Paul est un génie touche-à-tout. Il a vécu dans dix pays, parle six langues, a étudié la médecine et la psychopharmacologie, et va bientôt se mettre à l’ingénierie biomédicale, ainsi qu’à la neurophysiologie de l’oeil et du cortex visuel. Sa lecture transversale et hétérodoxe des données scientifiques disponibles (en particulier des expériences allemandes prouvant que le cortex visuel du chat est également sensible aux sensations tactiles) l’en a convaincu : notre système nerveux est une entité vivante infiniment plus modelable et élastique que ce que nous croyons. Quand son père meurt, six ans plus tard, de sa « belle mort », Paul fait autopsier son cerveau et découvre cette chose stupéfiante : 97 % des nerfs reliant son cortex cérébral à sa colonne vertébrale avaient été détruits par l’AVC. Il a donc vécu durant six ans avec 3 % de connexions seulement – et c’est sur cette base que son fils George l’a rééduqué ! Mais les neurones correspondant à ces 3 % se sont formidablement développés, pour remplir toutes les fonctions vitales– ce qui est strictement impossible en théorie.
Confirmé dans ses intuitions, Paul va se mettre à l’invention d’une machine étonnante : un fauteuil qui, par transformation d’images en impulsions électriques, permettra à des personnes ayant une déficience visuelle de voir par la peau ! Trente ans plus tard, ce fauteuil pesant deux tonnes est devenu un appareil minuscule qui, au lieu d’envoyer ses « pixels électriques » à tout le dos de la personne, lui irradie (très discrètement) la langue. Et de cette façon l’aveugle « voit » avec sa bouche, suffisamment bien pour reconnaître la silhouette d’une actrice, ou éviter un ballon qu’on lui envoie dessus ! Des images visuelles arrivent donc à sa conscience à partir de son ressenti tactile.